Dès sa naissance,
la typographie fut un art abouti. Le premier ouvrage imprimé
de grande taille, la Bible à quarante-deux lignes dite
B 42 de Gutenberg, est aujourd'hui encore considérée,
valeur historique mise à part, comme un pur chef d'ouvre
esthétique.
Quelques grands noms,
essentiellement italiens et français, vont dans les premières
décennies où le nouvel art va se répandre
en Europe, le perfectionner et donner au livre imprimé
sa forme actuelle. En matière de choix de caractères,
ils vont surtout assurer la prédominance du caractère
romain sur le caractère gothique.
Le caractère
gothique de Gutenberg
et des proto-imprimeurs
Lorsque l'imprimerie
apparut, les premiers typographes s'appliquèrent à
ne pas bouleverser les habitudes de leur clientèle naturelle
: celle des manuscrits. Fort logiquement, ils s'efforcèrent
d'imiter le plus fidèlement possible le travail des calligraphes.
Ils utilisèrent
donc la lettre gothique, dans sa version Textura. Cette
écriture monumentale se caractérisait par sa compression
verticale, ses brisures, sa rigidité et l'opposition des
pleins et des déliés.
Bible
à 42 lignes de Gutenberg
Cependant, comme toute
lettre trop « intellectualisée », elle avait
le défaut d'être difficile à lire. En effet,
dans le gothique chaque caractère individuel tend à
perdre sa spécificité, ce qui ralentit bien évidemment
l'oil du lecteur.
Par ailleurs, et afin
d'imiter au mieux les manuscrits, de nombreux signes furent fondus
en plus de l'alphabet de 25 lettres (nous sommes à la fin
du Moyen Age). Gutenberg pour sa B 42 fondit ainsi 202 caractères
différents : dix lettres 'a' plus ou moins large afin d'optimiser
la mise en page, de nombreuses abréviations latines dont
les copistes abusaient pour faciliter leur travail, des ligatures
et des lettres de liaison (groupement plus compact de lettres).
L'introduction
du romain en Italie :
l'ouvre de Nicolas
Jenson
La fin du XVe siècle
est marquée par la progression de l'humanisme en Europe.
Le goût des premiers humanistes pour l'Antiquité,
devait donner naissance à un nouveau style calligraphique
appelé écriture humanistique qui reposait sur une
redécouverte des capitales romaines antiques combinées
à l'utilisation d'une version simplifiée de l'écriture
caroline pour les minuscules.
On doit les premiers
essais de caractères romains typographiés aux imprimeurs
allemands travaillant en Italie : Conrad Sweynheym et Arnold Pannartz
(1465). Ces derniers, fondirent à Subiaco d'abord, puis
à Rome ensuite, un caractère romain hybride, encore
imprégné de l'esprit gothique.
Romain
de Subiaco (1465)
Les premiers vrais
romains nacquirent à Venise. On les doit aux imprimeurs
Jean et Wendelin de Spire. Leur dessin fut perfectionné
par le français Nicolas Jenson (1470). Son caractère
était encore assez lourd, au faible contraste entre pleins
et déliés et comportait des empattements assez épais.
Malgré leur couleur un peu trop uniforme, ces lettres vénitiennes
n'en offraient pas moins un aspect harmonieux et homogène.
Romain
de Jenson (1470)
A la fin du XIXe siècle,
lorsque William Morris décida de recréer un caractère
pour combattre les horreurs typographiques de l'ère victorienne,
c'est du travail de Jenson qu'il s'inspira ; Jenson est donc vraiment
le père de la typographie moderne.
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Vers la fin du XVe siècle,
l'imprimerie n'est plus un art de pionniers, mais une véritable
industrie. Le XVIe siècle va être marqué par
des dynasties d'imprimeurs-éditeurs (Manuce en Italie, Estienne
en France) qui vont grandement contribuer à structurer l'industrie
naissante et à standardiser le livre typographié.
Le perfectionnement
du romain :
Alde Manuce et Claude
Garamond
Alde Manuce allait parachever
le travail de Nicolas Jenson. Imprimeur, éditeur, en bref
chef d'entreprise vénitien, cet helléniste curieux
et ouvert, parfaite incarnation de l'esprit de ce temps, fit graver
un caractère romain tellement abouti, qu'il est encore utilisé
de nos jours. Union de la capitale épigraphique romaine et
de la calligraphie humanistique, ce caractère fut utilisée
pour imprimer le plus illustre des incunables : l'inéstimable
Songe de Polyphile (1499).
Romain
de Manuce (1490)
Si on compare ce romain,
gravé par Francesco Griffo, à celui de Jenson, les
différences semblent de peu d'importance : répartition
plus subtile des contrastes entre pleins et déliés,
affinement des empattements, hauteur de capitale inférieure
à l'extrémité des jambages supérieurs
des minuscules. Toutefois, la couleur de la page imprimée
en est transformée toute de variété et de luminosité.
Pendant ce temps, en
Europe, étaient publiés les premiers ouvrages théoriques
sur la lettre. Tous ces travaux, qu'ils soient de l'Italien Luca
Paccioli, de l'Allemand Albrecht Dürer ou du Français
Geoffroy Tory, reposaient sur le recours à la géométrie.
Luca
Paccioli, De Divina proportione (1509)
Le graveur qui insufla
l'esprit de ces théoriciens dans le caractère de Manuce
est un français du nom de Claude Garamond (1530). Il grava
pour le plus grand imprimeur de ce temps, Henri Estienne, un romain
équilibré, d'une très grande lisibilité,
un classique de la typographie, qui fit l'objet d'une large diffusion
et fut utilisé à travers l'Europe jusqu'à la
Révolution française.
Romain
de Garamond (1530)
L'invention de l'italique
: Alde Manuce encore
Alde Manuce, à
qui il faut associer Francesco Griffo, est illustre également
à un autre titre : c'est à lui que l'on doit l'italique,
caractère penchée inspirée des écritures
alors utilisées par la chancellerie pontificale.
Ce nouveau caractère
fut utilisé par Manuce pour lancer une collection de classiques
de petit format destinés aux lettrés souhaitant découvrir
un ouvrage sans s'encombrer d'un appareil critique. L'italique convenait
parfaitement à cette fin parce qu'elle permettait de gagner
de la place mais surtout parce que son élégance le
rendait très lisible dans les petits corps.
La normalisation
typographique
Rapidement, le livre
imprimé acquit son autonomie par rapport au livre manuscrit.
Progressivement, les nombreuses ligatures qui n'avaient plus de
raison d'être disparurent des livres typographiés.
Les imprimeurs purent ainsi commencer à rationnaliser leur
casse.
Cette évolution
fut accompagnée d'un débat de fond sur les langues
nationales et leur transcription. En France, dans les années
1530, Tory mais également Marot, Dolet et Ronsard proposèrent
des réformes orthographiques, défendant par exemple
l'usage des accents et de la ponctuation. Rapidement, l'orthographe
française intégra des règles inspirées
des recherches menées par les humanistes italiens à
partir de l'étude des langues latine et grecque (les accents
viennent par exemple du grec). L'aboutissment de ce mouvement fut
la publication par Joachim Du Bellay de l'acte fondateur de la langue
française, Défense et illustration de la langue
française (1549).
Parrallèlement,
les métiers se spécialisèrent progressivement.
On a vu que Manuce ne gravait pas lui même ses caractères
mais avait recourt aux services du talentueux Griffo. De même,
Garamond ne nous est connu que pour ses caractères, qu'il
gravait pour Estienne ou le Roi lui-même. Cette spécialisation
des métiers contribua grandement à uniformiser la
typographie européenne.
Ainsi, le plus célèbre
graveur de caractères français de cette époque
après Garamond, Robert Granjon, fondit des caractères
pour l'Europe entière. Ce parisien d'origine, travailla longtemps
à Lyon, d'où il vendait ses caractères à
tous les imprimeurs européens, fut appelé à
Anvers par le grand imprimeur Christophe Plantin et finit sa carrière
à Rome à la demande de l'imprimerie du Vatican.
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