Typographie & Civilisation
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Différents systèmes d'écritures sont nés sous des formes diverses à des époques distinctes dans de nombreux endroits du globe (Mésopotamie, Egypte, Chine, Amérique Centrale, etc.). En revanche, il semble bien que la naissance de l'écriture alphabétique soit géographiquement localisée en terre de Canaan, vers le IIe millénaire avant Jésus-Christ, dans une région qui correspond aujourd'hui au Proche-Orient (Liban, Israël, Syrie, Jordanie et Sinaï).

Les origines sémitiques de l'alphabet

C'est donc plutôt du côté du Levant qu'il faut chercher l'origine de l'alphabet. L'ancien alphabet sémitique est d'abord un emprunt à la civilisation égyptienne. Cette écriture pseudo-hiéroglyphique fonctionnait selon le principe de l'acrophonie : chaque pictogramme symbolisait le tout premier son du mot représenté. Ainsi le signe de la maison, baytu représentait la « lettre » 'B'. Dans la mesure où dans les langues sémitiques, tout mot commence par une consonne, l'alphabet pseudo-hiéroglyphique était consonantique.

Parallèlement (les interactions entre les deux systèmes d'écritures ne sont pas encore clairement établies), était inventé à Ugarit, sur la côte phénicienne, aux alentours du XIVe siècle avant notre ère, une écriture alphabétique consonantique de 30 signes utilisant le système graphique cunéiforme en usage dans l'ancienne Akkadie.

Le cunéiforme disparu, l'alphabet linéaire poursuivit son évolution. Avant la fin du XIIème siècle avant J-C, l'alphabet classique de 22 lettres arrivait à maturité après un millénaire d'évolution depuis l'invention des hiéroglyphes. La graphie des lettres se stabilisait de même que le sens de la lecture qui se faisait désormais de droite à gauche. L'alphabet phénicien découpait la syllabe en unités simples, les consonnes, et négligeait les voyelles qui servaient à les prononcer. L'acquis décisif demeurait: l'utilisation d'un ensemble réduit de signes graphiques pour symboliser la langue articulée. 

La lumière des voyelles

La langue grecque, qui appartient au groupe indo-européen comme le persan, le sanscrit et la plupart des langues européennes, offrait des particularités qui en rendaient la notation difficile par l'écriture alphabétique consonantique phénicienne. La difficulté inhérente à toute écriture syllabique est de rendre la consonne isolée, non suivie d'une voyelle. Or les groupes de deux ou trois consonnes sont monnaie courante en grec : un texte grec dont les voyelles ne sont pas notées est ainsi complètement inintelligible. 

Pragmatiques, les Grecs transformèrent l'alphabet phénicien en l'adaptant à leur langue. Dans un premier temps, ils affectèrent à certaines consonnes phéniciennes, des valeurs à peu près similaires dans leur langue. Ainsi, le signe du samek phénicien fut affecté à la consonne grecque de prononciation voisine 's'. Après de nombreuses modifications d'orientation, ce caractère se stabilisa sous la forme du sigma, 'S', tandis que le têt fut affecté à la notation du son th sous la forme du 'Q' et que le qof, q, servit à noter le k et reçut le nom de koppa ('K'). Le zain sémitique, servit à noter le son grec dz sous la forme 'Z'.

Mais l'invention la plus significative des Grecs constituera à attribuer à certaines lettres phéniciennes dont ils n'avaient pas l'usage la valeur de voyelles. C'est ainsi que naquirent le alpha ('A'), l'epsilon ('E'), l'omicron ('O') et l'upsilon ('Y'). Pour la sonorité 'I', ils inventèrent ex nihilo une lettre, le iota. Cette «lumière des voyelles» pour reprendre l'expression d'Etiemble, c'est l'apport décisif que vont faire les Grecs à l'histoire de notre civilisation.

Le problème pour les Grecs n'était pas seulement de trouver un emploi pour les lettres sémitiques qui ne correspondaient pas à des consonnes de leur langue mais également d'arriver à noter tous les sons de cette dernière. C'est ainsi que le son ph, fut d'abord noté 'PH' avant de se stabiliser sous la forme 'F'. Le son kh fut attribué à l'ancien taw sémitique, C, resté sans emploi en grec. Le groupe consonantique ps, fut d'abord noté 'PS', mais les Ioniens recoururent rapidement au signe 'Y' pour le représenter.

Ainsi, progressivement, son par son, signe par signe, s'élabora l'alphabet grec avec des différences notables selon les régions, mais suivant toujours le même processus: celui de l'adaptation du vieil alphabet sémitique à la langue grecque. Ceci explique d'ailleurs que les Grecs aient dans l'ensemble hérité des Phéniciens à la fois l'ordre dans lequel sont rangées les lettres et les noms de ces lettres. L'alpha rappelle indubitablement l'aleph phénicien, le bêta, le beth phénicien, etc.

Au début les mots étaient écrits sans séparation; plus tard on les sépara les uns des autres. Dans le même ordre d'idée, les accents apparurent progressivement dans l'alphabet grec. Les Grecs écrivirent également dans un premier temps en boustrophédon. Dans ce système, le sens de lecture progressait à l'horizontale, alternativement dans un sens et dans le sens opposé, à la manière des boufs au labour, revenant sur leurs pas à la fin de chaque sillon. Le boustrophédon constitue peut-être l'intermédiaire entre le sens phénicien, de droite à gauche, que les Grecs adoptèrent dans un premier temps et le sens ionien de gauche à droite.

L'année -403 marque un tournant décisif dans l'histoire de l'alphabet grec. En effet, sous l'archontat d'Euclide, Archinos fit adopter à Athènes une disposition stipulant que les textes des lois, consignés jusqu'alors dans l'alphabet local, seraient réédités dans l'alphabet ionien. Les autres villes grecques, suivirent progressivement cet exemple, reconnaissant officiellement la supériorité de cet alphabet.

L'alphabet arrive en Italie

L'alphabet grec inspira les civilisations voisines. C'est ainsi que les Etrusques dont la civilisation apparue dans l'actuelle Toscane au VIIe siècle avant J.-C. reprirent l'alphabet grec pour transcrire leur langue, langue qui malgré les 13.000 inscriptions en notre possession, nous reste toujours inconnue.

Des rois étrusques régnèrent sur Rome jusqu'au IVème siècle avant J.-C. date à laquelle les peuplades originaires du Latium les chassèrent. Ces Latins, les futurs Romains, empruntèrent l'alphabet étrusque pour transcrire leur langue. C'est ainsi que vers le IIIème siècle avant J.-C., fut établi un alphabet de dix-neuf lettres, le 'X', le 'Y' et le 'Z' ayant dû être réintroduits dans l'alphabet (les Etrusques avaient renoncés à ces lettres qui ne correspondaient à aucun son dans leur langue) vers le Ier siècle avant J.-C. à l'époque de Cicéron.